Manger ou réfléchir ?
Avec une capacité extraterrestre d’aller à l’essentiel, Michel Tolmer explore le monde du vin pour nous le restituer dans toute la gloire de sa nudité. Et quand le regard bionique du papa de Mimi, Fifi et Glouglou quitte le chai pour le restaurant, tous aux abris, car rien n’échappe à son scanner ! Une de ses affiches est un trésor de justesse décapante, un scalpel haute-fidélité au carrefour de la précision de Reiser, de la truculence de Gotlib et de l’absurde de Mandryka, avec un sens unique de la composition.
Pas la peine de causer ici de la « Nouvelle cuisine » des années 80 qui inventa le chef penseur délivreur de messages supérieurs aux masses incultes des gourmets pataugeant dans le marasme et implorant à genoux la sapience. Sa recette est simple : on remplace les produits par rien et c’est dans ce néant que le message suprême du chef s’engouffre, voilà tout. Ah lointaine époque de la carotte flottant dans le vide, de l’atome de bœuf errant sur le froid glacis de la faïence… Chétives expressions, où donc êtes-vous passées ?
Pas bien loin, puisque la mode du rien dans l’assiette fait toujours florès de nos jours et Michel Tolmer a résumé cette radinerie new-âge à l’épure : 3 lignes, 2 personnages et 1 table. Que peut-on y voir ? Pas grand-chose, au fond : un maitre d’hôtel barbu probablement tatoué proposant une assiette quasiment vide avec son exégèse sémantique à un client statufié qui rêvait d’une belle blanquette de veau. On sent le vécu, la vraie vie…
Rien de bien excitant direz-vous, mais l’essentiel est ailleurs, dans la composition d’un dessin tirant de son extrême économie de moyen toute sa force ! L’image est un triangle renversé sur son plus grand côté, comme s’il était tombé et dont la focale est le visage atone du client qui se demande bien ce qu’il fout là. Le regard bute donc sur une stupeur muette, descend vers l’assiette paralysée de solitude puis remonte à la verticale vers la suffisance lointaine du barbu tatoué pour terminer en altitude sur un texte quasi abstrait qu’il est vain de commenter ici tant il est ciselé. Tout est vide, abandonné : l’assiette, les verres, la table, et même les blancs tournants, immenses, oppressants et désertiques accentuant plus encore ce sentiment de flottement indécis et la solitude infernale du pauvre gus avec son assiette vacante. Au fond, il n’y a rien de vraiment drôle là-dedans… Il y a même presque quelque chose d’Edward Hopper dans ces personnages esseulés, cernés par le grand Rien… Ainsi, c’est dans sa vacuité très essentielle que cette image tire sa force expressive car le spectateur la meuble explicitement de tout ce qui est implicite.
Bravo l’artiste, chapeau bas !
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Dessins : Michel Tolmer Photo Stéphane Lagorce.
Texte Stéphane Lagorce
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